« Allô ! Maman, boulot »
La galère. Pour les jeunes de quartiers « défavorisés », c’est un mot qui revient souvent quand on parle d’emploi. Décrocheurs, non diplômés : ils sont les plus concernés par le chômage. Des initiatives locales les aident à surmonter ces barrières à l’emploi. Reportage à Roubaix et Tourcoing.
« On veut du boulot mais on ne nous en donne pas. » (Madjid, Tourcoing)
Chez les jeunes, « les problèmes périphériques sont en fait centraux »
Les éducateurs spécialisés y mènent tous types d’actions, du « travail de rue » (aller à la rencontre des jeunes où ils sont, c’est à dire dans les cafés, les cages d’escalier) à l’accompagnement individuel (chercher un logement) ou collectif (aider à l’organisation d’un voyage) en passant par la mise en place d’une « dynamique de quartier ».
« Aller sur le terrain, serrer des mains et demander où ça en est au niveau des démarches, c’est indispensable. » (Azdine, médiateur à Tourcoing)
Des modes d’action complémentaires selon Jamal Achahbar : « Les problèmes périphériques sont en fait centraux » et les actions collectives un « support à la relation, pour grandir socialement ». Car comme il le souligne, ces jeunes sont parfois en rupture totale avec les institutions, leurs familles, et la société.
À quelques stations de métro, dans l’un des cinq Quartiers prioritaires de la ville (QPV) de Tourcoing, les initiatives sont moins visibles. Azdine, lui, est connu dans tout le quartier. Il est médiateur emploi insertion à l’association Objectif Emploi. « Aller sur le terrain, serrer des mains et demander où ça en est au niveau des démarches, c’est indispensable. » Coline aussi, suivie par l’E2C, considère que l’accompagnement personnalisé est primordial.
« Ils n’ont plus les codes »
Jamal Achahbar se souvient d’une simulation d’entretien d’embauche avec un jeune d’une vingtaine d’années. « Je lui avais dit de s’habiller du mieux qu’il pouvait, et il est venu avec le dernier survêtement à la mode et une grosse montre dorée. »
Les travailleurs sociaux vont dans le même sens : ce n’est pas la volonté qui leur manque, mais ils ne parviennent parfois pas à s’adapter aux codes sociaux du monde du travail. « On voudrait que les jeunes s’adaptent aux dispositifs, mais ils ne rentrent parfois dans aucune case, il n’ont plus les codes », résume M. Achahbar. Tifaine, en formation à l’E2C, n’arrive pas à trouver le bon rythme.
Logiques gestionnaires
« L’État agit, on ne remet pas ça en cause », reconnaît celui qui travaille depuis près de 20 ans dans le domaine. Mais les subventions de l’association, accordées en majorité par le département, baissent d’année en année. « On tend vers une logique gestionnaire et économique, comme avec les hôpitaux, explique Jamal Achahbar, on nous demande du chiffre, alors que nous on travaille avec de l’humain… »
Amélie, professeure à E2C à Roubaix, dénonce aussi cette injonction à l’efficacité. C’est d’ailleurs ce qui l’a poussée à quitter l’Education Nationale et à entrer à l’E2C. « J’avais besoin de donner du temps à des jeunes dans ces situations [de décrochage], et on ne l’a pas, on ne peut pas s’occuper de tout le monde. J’étais frustrée. »
« On nous demande du chiffre, alors que nous on travaille avec de l’humain… » (Jamal Achahbar, Roubaix)
« Les dispositifs gouvernementaux sont trop généralistes »
À Objectif Emploi, on reconnaît également l’action de l’État envers ces publics en difficulté. Mais pour Yannick, le président de l’association, l’argent que les associations reçoivent ne peut pas être utilisé de façon optimale. Il pointe un manque de cohérence, de réactivité et de souplesse des dispositifs gouvernementaux, dans ce quartier où le chômage avoisine les 40 %.
Notamment les délais de Pôle Emploi : « On a une culture administrative inutile. Un jeune demandeur d’emploi qui vient nous voir ne sera reçu qu’au bout de deux mois, de quoi le démotiver. » L’agence nationale est parfois déconnectée des réalités locales, remarque Yannick : « Les annonces doivent être consultées sur des ordinateurs, même sur place. On suppose qu’on doit être autonome pour s’en servir, mais ce n’est pas le cas des habitants de ce QPV. »